Le syndrome du sauveur : Pourquoi vous souffrez en aidant les autres ?

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Le syndrome du sauveur : Pourquoi vous souffrez en aidant les autres ?
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Le syndrome du sauveur nous touche plus souvent qu’on ne le pense, créant une tension constante chez ceux qui sont perpétuellement disponibles pour les autres. Nous connaissons tous cette sensation : l’épuisement qui s’installe lorsque notre besoin compulsif d’aider devient une source de détresse émotionnelle. Ce phénomène, bien que non officiellement reconnu dans les manuels de diagnostic, peut avoir des conséquences sérieuses tant pour le sauveur que pour ceux qu’il tente d’aider.

En effet, ce comportement se manifeste dans différents contextes, notamment dans le syndrome du sauveur au travail, où nous nous sentons responsables de résoudre tous les problèmes professionnels. Par ailleurs, le syndrome du sauveur narcissique révèle souvent une blessure profonde, généralement liée à des traumatismes d’enfance ou à un manque affectif. Ces comportements s’inscrivent dans ce que certains psychologues considèrent comme de l’altruisme pathologique, créant des relations déséquilibrées où nous risquons d’être exploités malgré nos bonnes intentions.

Dans cet article, nous explorerons ensemble les racines de ce syndrome, ses manifestations et, surtout, comment en sortir pour retrouver un équilibre sain dans nos relations. Nous verrons comment ce besoin constant d’aider peut conduire à l’irritabilité, au ressentiment et finalement à une rupture de notre bien-être émotionnel, comme l’ont observé les psychologues Jess Baker et Rod Vincent avec leur métaphore de « l’élastique » qui finit par craquer.

Qu’est-ce que le syndrome du sauveur ?

Pour comprendre ce phénomène qui affecte tant de personnes, commençons par définir clairement ce qui se cache derrière cette tendance à vouloir constamment aider les autres.

Une définition simple et claire

Le syndrome du sauveur se caractérise par un comportement compulsif à vouloir résoudre les problèmes des autres, souvent au détriment de son propre bien-être. C’est un schéma psychologique où la personne tire sa valeur et son identité de son rôle d’aidant. En fait, il s’agit d’une forme d’altruisme excessif qui dépasse la simple générosité pour devenir un besoin psychologique profond. Les personnes atteintes de ce syndrome ressentent une responsabilité démesurée envers le bonheur et le bien-être des autres, s’investissant émotionnellement dans leurs problèmes comme s’ils étaient les leurs.

Ce comportement s’accompagne généralement d’un sentiment de culpabilité lorsqu’elles ne parviennent pas à « sauver » quelqu’un, ainsi que d’un épuisement émotionnel à force de toujours se mettre en second plan. Le syndrome du sauveur au travail se manifeste particulièrement dans les professions d’aide (soignants, travailleurs sociaux, enseignants), où la frontière entre engagement professionnel et surinvestissement devient floue.

Pourquoi ce n’est pas une pathologie officielle

Bien que largement reconnu dans la pratique psychologique, le syndrome du sauveur n’apparaît pas comme entité distincte dans les manuels de diagnostic officiels comme le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) ou la CIM-11 (Classification internationale des maladies). Cependant, ce n’est pas pour autant qu’il faut minimiser ses effets.

En effet, ce syndrome s’apparente davantage à un schéma comportemental problématique qu’à un trouble psychiatrique à part entière. Néanmoins, il partage des caractéristiques avec certains troubles reconnus, comme la dépendance affective ou certains traits de personnalité dépendante. Les psychologues cliniciens considèrent généralement ce syndrome comme un ensemble de comportements et de croyances dysfonctionnels pouvant nécessiter une intervention thérapeutique, particulièrement lorsqu’il impacte négativement la qualité de vie.

Par ailleurs, l’absence de reconnaissance officielle complique parfois la prise en charge, car les personnes concernées peinent à identifier leur comportement comme problématique. Elles le perçoivent souvent comme une simple qualité – être généreux ou altruiste – plutôt que comme un schéma potentiellement autodestructeur.

Différence entre altruisme sain et altruisme pathologique

L’altruisme sain est un comportement prosocial équilibré qui procure satisfaction et épanouissement. Une personne animée d’un altruisme sain aide les autres par choix conscient, sans compromettre son propre bien-être et en respectant ses limites personnelles. Elle sait dire non quand c’est nécessaire et ne tire pas sa valeur exclusivement de son rôle d’aidant.

À l’opposé, l’altruisme pathologique caractéristique du syndrome du sauveur fonctionne comme une compulsion. La personne aide les autres non par choix libre mais par nécessité psychologique, comme si son existence même dépendait de ce rôle. Elle ressent une anxiété intense à l’idée de ne pas pouvoir aider et s’efface complètement derrière les besoins des autres.

Le syndrome du sauveur narcissique représente une forme particulière de ce phénomène, où le besoin d’aider est motivé par la recherche de validation et d’admiration. Dans ce cas, l’aide apportée sert avant tout à nourrir l’ego du « sauveur » plutôt qu’à répondre aux besoins réels de l’autre.

Ainsi, contrairement à l’altruisme sain qui énergise et nourrit, l’altruisme pathologique épuise et déséquilibre. Les frontières entre soi et l’autre s’estompent, créant une confusion identitaire où l’on ne sait plus distinguer ses propres besoins de ceux des autres. Ce déséquilibre entraîne souvent des relations toxiques où la dépendance mutuelle remplace l’interdépendance saine.

En somme, si aider les autres est une noble intention, le syndrome du sauveur transforme cette intention en un mécanisme de survie psychologique qui finit par nuire tant à l’aidant qu’à l’aidé, créant un cycle relationnel dysfonctionnel dont il est difficile de s’extraire sans une prise de conscience profonde.

Les racines psychologiques du besoin d’aider

Derrière chaque comportement de sauveur se cache une histoire personnelle souvent marquée par des blessures profondes. Comprendre ces mécanismes psychologiques nous permet de mieux saisir pourquoi certains d’entre nous développent ce besoin compulsif d’aider, parfois au détriment de leur propre équilibre.

Blessures d’enfance et manque affectif

Les racines du syndrome du sauveur plongent fréquemment dans notre enfance. De nombreux « sauveurs » ont grandi dans des environnements où leur valeur personnelle était conditionnée à leur utilité. En effet, les enfants qui ont dû prendre soin de parents dysfonctionnels, alcooliques, ou émotionnellement instables développent souvent ce que les psychologues appellent une « parentification précoce ». Ces enfants apprennent très tôt que leur rôle est de soutenir les autres, négligeant ainsi leurs propres besoins.

Par ailleurs, le manque d’affection ou l’amour conditionnel reçu durant l’enfance peut créer une croyance profonde que l’amour doit être mérité par des actes de service. Cette conviction s’installe durablement dans l’inconscient : « Je ne suis aimable que lorsque je suis utile ». Ainsi, l’enfant devenu adulte reproduit ce schéma dans toutes ses relations, transformant l’aide aux autres en quête désespérée d’affection.

Les traumatismes infantiles non résolus jouent également un rôle crucial. Lorsqu’une personne n’a pas pu être secourue dans sa propre souffrance, elle peut inconsciemment chercher à « sauver » des versions d’elle-même à travers les autres. Ce mécanisme de projection constitue une tentative inconsciente de guérison, comme si aider l’autre permettait de soigner ses propres blessures d’enfance.

Recherche de reconnaissance et d’amour

Le syndrome du sauveur narcissique révèle une dimension particulière de cette dynamique : l’aide devient un moyen d’obtenir validation et reconnaissance. Pour ces personnes, le besoin d’être perçu comme indispensable remplit un vide existentiel profond. L’admiration et la gratitude des autres deviennent une drogue émotionnelle qui apaise temporairement un sentiment d’inadéquation.

Cette recherche de reconnaissance se manifeste notamment dans le syndrome du sauveur au travail, où l’individu s’investit démesurément, accepte des responsabilités excessives et se rend « irremplaçable ». Ce comportement, bien que valorisé dans certaines cultures professionnelles, masque souvent une profonde insécurité identitaire : « Sans mon rôle d’aidant, qui suis-je réellement ? ».

En outre, cette dynamique se nourrit d’un paradoxe psychologique : plus le sauveur aide, plus il renforce sa croyance qu’il n’a de valeur qu’en aidant. Ce cercle vicieux l’empêche d’établir des relations équilibrées où son identité pourrait exister indépendamment de sa fonction d’assistance. De ce fait, le sauveur développe progressivement une dépendance à ce rôle, tout comme d’autres développeraient une dépendance à une substance.

Lien avec la dépendance affective

L’altruisme pathologique et la dépendance affective partagent des mécanismes similaires. Dans les deux cas, l’individu sacrifie ses besoins pour maintenir une relation, craignant l’abandon s’il cesse d’être « utile ». Cette peur de l’abandon trouve généralement ses racines dans l’attachement insécure développé durant l’enfance.

Ce lien se manifeste dans la difficulté à établir des limites saines. Le sauveur, comme le dépendant affectif, confond souvent amour et sacrifice, incapable de concevoir une relation où ses propres besoins seraient légitimes. Par conséquent, il se retrouve fréquemment dans des relations déséquilibrées où il donne beaucoup plus qu’il ne reçoit.

Finalement, les deux conditions partagent un même moteur émotionnel : la peur. Peur de ne pas être suffisant, peur d’être abandonné, peur d’être invisible si l’on n’est pas constamment au service des autres. Cette anxiété fondamentale pousse le sauveur à rechercher compulsivement des situations où son aide sera nécessaire, créant ainsi une identité entièrement bâtie sur sa capacité à résoudre les problèmes d’autrui.

Comprendre ces mécanismes constitue la première étape pour sortir de ce cycle destructeur. En reconnaissant les blessures qui alimentent notre besoin d’aider, nous pouvons commencer à construire une identité qui ne dépend plus exclusivement de notre utilité aux yeux des autres.

Les signes que vous souffrez en aidant les autres

Reconnaître les manifestations du syndrome du sauveur est essentiel pour éviter de sombrer dans une spirale d’épuisement. Voici les principaux signes qui indiquent que votre altruisme devient une source de souffrance personnelle.

Fatigue émotionnelle et épuisement

Le premier signe révélateur du syndrome du sauveur se manifeste par un état d’épuisement profond qui ne disparaît pas avec le repos. Cette fatigue n’est pas simplement physique — elle s’installe comme une lassitude émotionnelle permanente. Vous dépensez tellement de ressources pour soutenir les autres qu’il vous reste peu d’énergie pour vous-même. Cet investissement constant dans les problèmes d’autrui sollicite excessivement votre système nerveux, créant une anxiété permanente difficile à apaiser.

Par ailleurs, cette fatigue s’accompagne souvent de changements d’humeur significatifs. Vous pouvez passer de l’empathie excessive à l’irritabilité en quelques instants, signe que vos ressources émotionnelles s’épuisent. Dans le syndrome du sauveur au travail, cette dynamique est particulièrement visible chez les professionnels des métiers d’aide (enseignants, soignants, travailleurs sociaux) qui sont davantage sujets au burn-out et à l’épuisement émotionnel, car leur aide est perçue comme allant de soi.

Des troubles physiques apparaissent également : difficultés de sommeil, maux de tête persistants, problèmes digestifs et tensions musculaires chroniques. Ces symptômes somatiques sont l’expression corporelle d’un épuisement plus profond, comme si votre corps vous signalait qu’il ne peut plus soutenir ce rythme de don perpétuel.

Sentiment d’inutilité quand on ne peut pas aider

L’un des aspects les plus douloureux du syndrome du sauveur est le profond sentiment d’inutilité qui surgit lorsque vous ne pouvez pas résoudre les problèmes des autres. Dans l’altruisme pathologique, votre valeur personnelle est si intimement liée à votre capacité d’aide que toute situation où vous êtes impuissant provoque une crise identitaire. Vous ressentez alors un vide existentiel, comme si vous perdiez votre raison d’être.

Ce sentiment d’inutilité se manifeste de façon particulièrement intense lorsqu’une personne refuse votre aide ou lorsque vos efforts n’aboutissent pas aux résultats espérés. Vous pouvez alors ressentir une profonde déception, voire développer de la rancœur envers la personne que vous n’avez pas réussi à « sauver ». En effet, lorsqu’un sauveur ne parvient pas à trouver la reconnaissance qu’il cherche désespérément, il peut sombrer dans l’isolement, la dépression et parfois même la misanthropie.

Ce phénomène s’explique par le fait que les sauveurs ont besoin de l’autre pour se sentir indispensables et avoir le sentiment d’exister dans la relation. Sans cette dynamique, ils se retrouvent confrontés à leur propre vide intérieur qu’ils tentent habituellement de combler par leur rôle de sauveur.

Auto-culpabilisation et critique excessive

La culpabilité est le compagnon fidèle du syndrome du sauveur narcissique. Vous vous sentez constamment responsable du bien-être des autres, au point de vous blâmer sévèrement lorsque vous n’arrivez pas à les aider suffisamment. Cette auto-culpabilisation se manifeste par une voix intérieure critique qui vous rappelle sans cesse que vous pourriez faire plus, mieux, différemment.

D’ailleurs, vous surveillez constamment que vos faits et gestes n’inquiètent ou ne mettent pas en colère votre entourage. Vous restez dans des relations toxiques uniquement par culpabilité de « laisser l’autre » et faites systématiquement passer les besoins d’autrui avant les vôtres. Cette tendance à l’auto-sacrifice est particulièrement dangereuse car elle vous déconnecte progressivement de vos propres besoins et limites.

Finalement, la culpabilité associée à l’obligation morale de faire passer les autres avant vous-même devient toxique. Vous vous retrouvez prisonnier d’un dévouement aux autres présenté comme votre devoir personnel, alors qu’il s’agit en réalité d’un devoir moral que vous vous imposez en plaçant les autres au centre de vos préoccupations. Ce cercle vicieux vous maintient dans un état de critique perpétuelle envers vous-même, nourrissant un manque d’estime personnelle qui renforce encore davantage votre besoin de vous prouver par l’aide que vous apportez aux autres.

Quand aider devient toxique pour soi et pour les autres

L’aide authentique enrichit tandis que l’aide compulsive détruit. Cette distinction fondamentale permet de comprendre pourquoi certains comportements altruistes deviennent nocifs tant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit.

Relations déséquilibrées et exploitation

Le syndrome du sauveur crée inévitablement des relations asymétriques où l’équilibre naturel entre donner et recevoir se trouve compromis. En effet, une personne atteinte de ce syndrome recherche systématiquement des partenaires en difficulté — qu’il s’agisse de personnes traversant une maladie, un licenciement ou toute autre période de vulnérabilité. Ces situations offrent au sauveur la perspective gratifiante d’être indispensable pour quelqu’un.

Malheureusement, cette dynamique entrave l’autonomie de l’autre. En se plaçant constamment dans ce rôle, le sauveur sous-estime les capacités de résilience de son partenaire et nie sa possibilité d’apprendre de ses erreurs. Il le prive ainsi du sentiment de sa propre force, celle qu’on développe précisément en surmontant soi-même ses difficultés. Dans les cas les plus graves, cette relation déséquilibrée peut engendrer des troubles psychologiques significatifs pour les deux parties.

Par ailleurs, cette relation unidirectionnelle conduit souvent à l’épuisement. À force de vouloir aider l’autre à tout prix et au détriment de ses propres besoins, le sauveur s’oublie et s’épuise rapidement, tout en rendant l’autre dépendant de lui.

Le syndrome du sauveur narcissique

Derrière l’apparence altruiste du syndrome du sauveur se cache souvent un besoin narcissique de reconnaissance. Cette forme d’altruisme pathologique repose sur un désir maladif d’être admiré et valorisé socialement pour son dévouement. Certains psychologues parlent même « d’altruiste narcissique » pour décrire ce phénomène.

Ce qui distingue véritablement le sauveur narcissique, c’est sa réaction face à l’amélioration de la situation de l’autre. Un « sauveur » sans personne à sauver se sent inutile, déplacé dans la relation. Paradoxalement, cela peut le conduire à fragiliser délibérément son partenaire par des remarques désobligeantes ou un discours centré sur ses insuffisances supposées. L’objectif inconscient : redevenir son indispensable et admirable « sauveur ».

Contrairement à l’altruisme authentique qui vise l’autonomie de l’autre, le sauveur narcissique maintient l’autre dans une position de faiblesse pour continuer à briller dans son rôle. En amour, cette dynamique crée des relations toxiques d’emprise, où le sauveur va tout faire pour susciter l’admiration et la dépendance affective de son partenaire.

Le triangle dramatique de Karpman

Le psychologue Stephen Karpman a formalisé cette dynamique toxique à travers son modèle du « triangle dramatique », schématisation qui explique comment les relations toxiques fonctionnent. Ce triangle implique trois rôles: la victime, le sauveur et le persécuteur.

La victime se sent impuissante et cherche quelqu’un pour la sauver. Le sauveur, figure centrale de notre sujet, intervient pour « résoudre » les problèmes de la victime, tandis que le persécuteur critique et blâme. L’aspect le plus troublant de ce modèle est que les protagonistes tournent souvent dans ces différents rôles, passant de l’un à l’autre au cours de la relation.

La motivation du sauveur dans ce triangle est particulièrement complexe. Sous son désir apparent d’aider se cache un motif plus égoïste: il obtient un regain d’estime de soi et un statut valorisant, tout en maintenant l’autre dans une position de dépendance. Ce mécanisme relationnel empêche toute évolution vers une relation équilibrée, car aucun des acteurs n’a réellement intérêt à changer cette dynamique qui répond, bien que de façon dysfonctionnelle, à leurs besoins psychologiques non exprimés.

Les différents profils de sauveurs

Si chaque sauveur est unique, les psychologues ont néanmoins identifié trois profils distincts qui se manifestent selon des schémas comportementaux reconnaissables. Ces catégories nous aident à mieux comprendre les différentes expressions du syndrome du sauveur et leurs impacts spécifiques sur les relations.

Le sauveur blessé

Également appelé sauveur abîmé, ce profil se caractérise par un besoin constant d’être admiré et reconnu. Ces personnes utilisent l’aide qu’elles apportent comme un moyen de compenser une image négative d’elles-mêmes et de réparer des blessures psychologiques anciennes. En effet, le sauveur blessé porte souvent en lui des traumatismes d’enfance non résolus qu’il tente inconsciemment de guérir à travers ses actes de sauvetage.

Ce profil s’apparente au syndrome du sauveur narcissique dans la mesure où l’aide offerte sert principalement à nourrir l’ego du sauveur plutôt qu’à répondre aux besoins réels de l’autre. Derrière cette apparente générosité se cache une profonde blessure narcissique que la personne tente de panser à travers la reconnaissance et la gratitude qu’elle espère recevoir. Son identité est si intimement liée à son rôle d’aidant qu’elle perd complètement pied lorsqu’elle ne peut plus l’exercer.

Le sauveur empathique

Ce profil se manifeste particulièrement dans les relations amoureuses. Le sauveur empathique ressent une peur viscérale d’être abandonné et perçoit toute distance émotionnelle comme une menace existentielle. Par conséquent, il va chercher à réduire constamment cette distance en se rendant indispensable à son partenaire.

Paradoxalement, il redoute que sa moitié ne réussisse trop dans la vie, car cela pourrait signifier qu’elle n’aura plus besoin de lui. Cette crainte le pousse parfois à saboter inconsciemment les succès de l’autre ou à dramatiser les situations pour maintenir son rôle de soutien essentiel. Ainsi, l’altruisme pathologique du sauveur empathique crée une relation de dépendance mutuelle où l’autonomie de chacun est compromise.

Le sauveur contrôlant

Forme la plus toxique du syndrome du sauveur, ce profil va jusqu’à exercer un contrôle physique et émotionnel sur l’autre pour éviter l’abandon. Souvent caractérisé par une jalousie extrême, le sauveur contrôlant devient un véritable manipulateur qui n’hésite pas à fragiliser intentionnellement sa victime pour ensuite la « sauver ».

Dans les cas les plus graves, cette personnalité peut même provoquer le malheur chez l’autre en le rabaissant constamment pour ensuite se présenter comme son unique solution. Cette dynamique peut se manifester au travail, créant ce qu’on appelle le syndrome du sauveur au travail, où le sauveur contrôlant maintient ses collègues ou subordonnés dans un état de dépendance professionnelle, s’assurant ainsi d’être toujours perçu comme indispensable à l’organisation.

Comment sortir du syndrome du sauveur ?

Sortir du syndrome du sauveur est un cheminement qui demande du temps et de la persévérance. Néanmoins, ce processus de libération est possible avec les bonnes stratégies et une volonté sincère de transformation personnelle.

Prendre conscience de ses schémas

La première étape essentielle consiste à identifier les déclencheurs émotionnels qui nous poussent à adopter ce comportement de sauveur. Ces déclencheurs peuvent être la culpabilité, la peur de l’abandon ou le besoin de reconnaissance. Pour favoriser cette prise de conscience, certains thérapeutes recommandent de tenir un journal quotidien où l’on note les situations qui nous font perdre ou gagner de l’énergie. Cette observation de soi permet progressivement de reconnaître les schémas répétitifs et d’observer nos pensées avec plus de recul, semblable à une pratique de pleine conscience.

Travailler l’estime de soi

Pour contrecarrer le besoin compulsif d’aider, développer l’auto-compassion devient fondamental. Il s’agit d’apprendre à se traiter avec la même empathie qu’on offre aux autres. Concrètement, cela passe par le développement d’activités personnelles épanouissantes qui renforcent l’estime de soi indépendamment du regard des autres. L’intégration d’affirmations positives quotidiennes peut également transformer significativement l’image que nous avons de nous-mêmes et nous aider à puiser en nous la reconnaissance dont nous avons besoin.

Se faire accompagner par un professionnel

Bien qu’aucune thérapie ne soit spécifiquement conçue pour ce syndrome, plusieurs approches s’avèrent efficaces. La thérapie cognitive-comportementale (TCC) aide à identifier les comportements problématiques tandis que la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) développe des stratégies de gestion. Dans certains cas, notamment quand les causes proviennent de l’enfance, une psychanalyse peut être envisagée. La thérapie en ligne constitue également une option efficace pour reconnaître et gérer les déclencheurs émotionnels.

Apprendre à poser des limites

Établir des limites saines représente une étape cruciale vers l’autonomie émotionnelle. Pour ceux qui trouvent difficile de dire non, une approche intermédiaire consiste à dire « oui, si… » en établissant clairement ses conditions. Avant d’aider quelqu’un, il devient essentiel de se poser des questions comme : « Cette décision est-elle prise pour garder cette personne heureuse ou pour sa santé globale ? », « Mon action l’aide-t-elle à aller mieux ou moi à me sentir mieux ? », « Suis-je invité à aider ? ».

Rééquilibrer ses relations

Finalement, sortir de l’altruisme pathologique implique de redéfinir nos conceptions d’aide et de soin. Cela passe par l’apprentissage de nouvelles façons de soutenir : poser des questions plutôt que donner des réponses, écouter au lieu d’agir, offrir des outils d’autonomie plutôt que de faire à la place de l’autre. Cette nouvelle approche permet de transformer progressivement nos relations en interactions équilibrées où chacun assume la responsabilité de ses choix et de son bien-être.

Au terme de cette exploration du syndrome du sauveur, une réflexion s’impose sur notre relation à l’aide et au soin. Finalement, ce syndrome révèle un paradoxe fondamental : en voulant constamment sauver les autres, nous finissons par nous perdre nous-mêmes. Néanmoins, prendre conscience de ces mécanismes constitue déjà un pas significatif vers la guérison.

En réalité, l’équilibre entre don et réception représente l’un des défis majeurs de notre existence sociale. Aider est noble, certes, mais uniquement lorsque cette aide provient d’un choix conscient plutôt que d’un besoin compulsif de validation. À cet égard, nous pouvons tous nous interroger : nos actes d’aide sont-ils motivés par l’amour authentique ou par une quête inconsciente de reconnaissance ?

Assurément, le véritable altruisme ne cherche pas à créer de la dépendance mais à favoriser l’autonomie. D’ailleurs, il est intéressant de noter que dans la nature, même les espèces les plus coopératives n’établissent pas de relations d’aide unilatérales sur le long terme. De même, dans nos interactions humaines, les relations les plus saines sont celles où chacun peut tour à tour donner et recevoir.

Pour guérir du syndrome du sauveur narcissique ou du syndrome du sauveur au travail, nous devons avant tout redéfinir notre conception de l’amour et du soin. Le véritable soin respecte l’autre dans sa pleine individualité, y compris dans son droit à l’échec et à l’apprentissage par l’erreur.

Sur ce chemin de transformation, il est essentiel de se rappeler que notre valeur ne dépend pas de notre utilité aux yeux des autres. Elle réside intrinsèquement en nous, indépendamment de nos actions. En conséquence, nous pouvons choisir d’aider non par nécessité mais par générosité véritable.

À bien y réfléchir, sortir de l’altruisme pathologique ne signifie pas cesser d’aider, mais plutôt aider différemment – avec discernement, respect des limites et conscience de soi. C’est peut-être paradoxalement en cessant de vouloir sauver le monde que nous devenons capables d’y contribuer de façon véritablement constructive et équilibrée.

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